L'inconnu. Tu rouvres les yeux sur un lit d'hôpital, des perfusions dans la main, sans rien comprendre. Que fais-tu là ? Les infirmiers défilent à ton réveil, sous tes yeux ébahis et tes lèvres entrouvertes. Les jours et les nuits se succèdent sans un mot, ils finissent par supprimer les perfusions, par autoriser quelques objets un peu plus personnels. Au bout de quelques jours, un psychologue bien te voir, te questionne, mais rien ne sort. Tu ne sais pas. Tout simplement. Tu ne sais rien. Les mots se coincent dans ta gorge, et tu observes l'homme avec un air ahuri. « Je ne sais pas qui je suis. » Ce sont tes premiers mots, ceux du nouveau toi. Ils finissent enfin par t'expliquer, à toi, celle qu'ils appellent Jane Doe. L'inconnue découverte au pied d'un immeuble, blessée et écorchée. Ton sauveur fini par passer te voir, et le déclic se fait, au bout de quelques heures vous vous quittez en riant. Tu restes encore quelques semaines encore à l'hôpital, ils recherchent ta famille, des amis, n'importe qui pouvant te rattacher à ton passer. Mais les jours défilent et rien ne vient. Ils hésitent alors, où te déposer ? Te voilà guérie, tu ne peux rester à l'hôpital. C'est Mr Jules qui vient te sauver de l'orphelinat, se propose aussitôt en tuteur légal pour te sortir de là. Si toi tu acceptes aussitôt, heureuse d'une telle opportunité, les autorités hésitent. Cet homme seul, occupé à une affaire aussi prenante que sa boulangerie, peut-il gérer une adolescente de quatorze ans qu'il n'a pas vu grandir ? Un juge impatient de prendre sa journée fini par lui accorder ta garde, tout en lui rappelant que ta famille biologique venait à te retrouver, il n'aurait plus aucun droit. Après tout, tu as la chance d'un avenir plus lumineux s'il t'accorde une vie à ses côtés, l'homme est aisé et réputé pour sa bonté, il ne devrait pas y avoir de soucis n'est-ce pas ?

La vie dans l'appartement au dessus la boulangerie est douce. Vous passez vos nuits à parler, c'est encore les vacances pour toi et durant les heures de rush tu l'aides à la cuisine. Il est rare de voir l'un sans l'autre, sans un rire ou un sourire. Très vite, il te raconte tout. Son père dément, sa mère infecte, et puis son homosexualité qu'il n'approuve pas lui-même. Puis le collège reprend et tu te trouves obligée d'y aller. Les questions vont bon train dans cette école privée où tous se connaissent, les rumeurs aussi, des sales sur ton tuteur qui te font rugir de colère. Au bout d'un mois seulement tu supplies l'homme de te changer d'école, et ça se passe un peu mieux maintenant dans le public. Au moins, ils ne se retournent pas tous sur ton passage. Presque tous seulement. L'intégration est rude, et tu finis par devenir cette fille étrange au fond de la classe, un peu sombre, un peu perdue, aux résultats excellents, mais qui préfère passer son week-end les mains dans la pâte qu'à boire comme un trou dans la maison hanté.

Mais au lycée, tout change, et les garçons qui se sentent un peu trop maîtres du monde tentent d'avoir de l'emprise sur toi. Ils y arrivent. Le casier bousillé, les livres déchirés, les moqueries sur toi ou ton père devant le reste de l'univers. Tes manières de fille de grande famille te valent des rackets plus ou moins tendres. Le bullying de lycée habituel qui ne fait pas bon ménage avec une vie saine et agréable. Tu ne lui dis rien, tu te tais, tu es souvent silencieuse Xara sauf avec lui. Et un jour, l'aurore boréale te plonge dans le sommeil. Quand tu rouvres les yeux, tout est différent. Autour de toi les morts. Les esprits qui te parlent, et la terre des anciens qui vibre sous tes pas. Puissante, si puissante tu n'as plus rien à craindre. Sans réellement comprendre pourquoi, tu finis sur l'Île aux Esprits à lever des corps putrides, à les faire te suivre au beau milieu de la nuit pour les murer dans les chambres de tes harceleurs. Leurs visages livides ou verdâtres du lendemain sont ta victoire, mais ce n'est pas suffisant. Des beaux mots, de la peau dévoilée, et ils acceptent de te suivre en camping sur l'Île. Ils en reviennent transformés. Traumatisés. Tu n'as plus peur de personne Xara.